Le suicide
Vieillard
Quand j’ai fait mes études en médecine, la psychiatrie n’était pas trop à l’honneur. On nous parlait de schizophrénie, de paranoïa et un peu des états dépressifs et jamais du suicide ou des personnes ayant des tendances suicidaires. Il est vrai que dans ma pratique médicale j’ai vu plus de suicidés que de gens qui voulaient se suicider.
Mes interventions dans le domaine psychiatrique se sont soldées par un lamentable désastre. J’ai encore en mémoire ce vieillard qui est venu me consulter parce, disait-il, « il ne voyait aucune raison de vivre. J’ai quitté mon patelin où tout le monde me regardait de travers parce que je n’avais rien à leur offrir de gratifiant. J’arrive en ville, je me loue une chambre pour y habiter et rencontrer des gens, mais je ne vois que des inconnus. Je me sens seul au monde et inutile, ma vie est un immense vide. »
J’essaie de lui faire comprendre qu’il vit un mauvais moment. Que bientôt il va se faire des amis et que certainement des jours meilleurs sont devant lui. Je lui prescris un anxiolytique et lui fixe un rendez-vous dans une semaine. J’avais la ferme intention de le ramener sur la voie du bonheur.
Trois jours après sa visite, on me téléphone à cinq heures du matin pour me demander d’aller constater son décès, il s’était pendu dans sa garde-robe.
Reclus
Une autre fois, on m’avait demandé de visiter un malade qui ne voulait parler à personne. Je me rends à son domicile. On me dit que le patient âgé d’une quarantaine d’années restait toujours dans sa chambre, n’y sortait que pour ses besoins d’hygiène, ne parlait à personne et qu’on devait même aller lui porter ses repas, sinon il ne s’alimentait pas. On lui dit que le docteur est venu lui rendre visite. Il entrebâille la porte et me fait savoir clairement qu’il ne veut rien savoir de moi et que, de toute façon, il n’a jamais demandé à me voir. Je réplique que son cas m’intéressait et que s’il le voulait je viendrais à toutes les semaines m’informer de sa santé. Il me dit : « Si çà peu vous être utile je n’ai pas d’objection. »
Après quelques visites j’avais réussi à me faire inviter à m’asseoir dans sa chambre et à parler de son isolement. À chaque fois que je quittais la maison j’avertissais sa mère de ne jamais le laisser seul. Je gagnais graduellement sa confiance, mais me rendais bien compte que la guérison était très loin d’être acquise. Son sentiment d’être inutile, une charge pour sa famille, une épave était profondément imprégnée dans son intellect. Or, un membre de la famille de sa mère décéda, et on décida d’aller aux funérailles qui avaient lieu à l’église située l’autre coté de la rue. Quand on revint à la maison, il était mort dans sa chambre.
Lorsque j’arrivai pour constater le décès, je le trouvai à genoux au pied de son lit, sur lequel il avait déposé une statue de la Sainte Vierge, son chapelet et un livre de prières, Il avait la bouche ouverte et une goutte de sang sur la langue. À ses pieds gisait un petit révolver d’un modèle très ancien. Il était évident qu’il s’était tiré une balle dans la bouche. Ce suicide m’a décontenancé pendant une longue période, en fait, je ne l’ai jamais oublié.
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