Souvenirs d'un vieux Doc




     Souvenirs de ma pratique médicale
     comme médecin de famille
     dans la ville de Québec.

vendredi, septembre 01, 2006


Fils ingrat

J’avais parmi mes patients une dame âgée que je visitais régulièrement. Veuve d’un mari alcoolique qui lui avait causé bien des tracas, principalement parce qu’elle avait, contre son désir, adopté un garçon. Ce fils adoptif, à moitié accepté, a eu un style de vie un peu particulier; passant rapidement du métier de vide-gousset à celui de cambrioleur. Finalement, il s’est retrouvé comme pensionnaire au pénitencier.

À la sortie de cette « respectable » institution, il s’est rapproché de sa généreuse et consolatrice maman qui lui vouait un amour maternel indéfectible. Cette relation filiale donna naissance à un climat de confiance entre la maman, son fils et l’amie de ce dernier.

Lors d’une de mes visites hebdomadaires, la madame me dit : « Docteur, je voudrais avoir votre avis sur ce qui m’arrive. Mon garçon voyant que je dois sortir pour payer mes comptes, mon loyer et faire mes emplettes, me suggéra de les faire à ma place. Je trouvai cela très gentil de sa part et j’acceptai. C’était réellement édifiant de les voir, tous les deux, lui et son amie, me demander ce que je voulais et faire avec empressement toutes mes commissions.

Un jour, mon fils me dit; « Maman, j’ai discuté avec ton gérant de banque des nombreuses démarches qu’on fait pour toi, soit : payer ton loyer, ton électricité, faire tes achats, ce qui nécessite de multiples visites à la banque pour retirer de l’argent. On est venu à la conclusion que si tu signais une procuration nous permettant de faire des chèques en ton nom, le tout deviendrait beaucoup moins exigeant pour nous.

Comme la suggestion venait du gérant de ma banque je n’y ai vu aucune objection et j’ai signé le document qu’on me présenta. Le tout fonctionna très bien, mais la semaine dernière, la compagnie de téléphone m’avertit que mon compte n’avait pas été payé et que ce retard m’occasionnerait des frais supplémentaires. J’ai signalé le fait à mon fils et à son amie. Ils m’ont répondu qu’ils avaient oublié de faire ce paiement et que le tout serait corrigé la journée même.

Aujourd’hui j’apprends que c’est le compte de l’électricité qui n’est pas réglé. Je commence à m’inquiéter, d’autant plus qu’à la mort de mon mari j’ai reçu une assurance de 40 000,00$, somme que j’ai placée à la banque. Croyez-vous, docteur que je peux perdre toutes mes économies? » Je me montre le plus confiant et réconfortant que possible et lui propose d’aller voir le gérant de la banque pour s’informer. « J’aimerais beaucoup si vous y alliez à ma place » dit-elle.

J’accepte et me rends chez le fameux gérant. Celui-ci m’informe que le fils retire de deux à trois mille dollars par semaine et qu’actuellement le compte de banque de madame a diminué de plus de la moitié. Il ajoute : « Je ne peux rien faire pour contrer ces douteuses manœuvres, la mère a signé une procuration en faveur de son fils. »

Je retourne voir la malheureuse maman et lui raconte les faits. Merci docteur, me dit-elle, je vais régler ça. La semaine suivante, je m’informe comment le litige s’est solutionné. C’est avec une désarmante candeur qu’elle m’explique : « Mon fils m’a dit que tout est vrai, mais qu’ils ont pris cet argent pour acheter des meubles et que dès qu’il se sera trouvé un emploi, ils me rembourseront en entier avec les intérêts. Ils m’en ont pas parlé afin de ne pas m’inquiéter inutilement, ils sont vraiment gentils, rajouta-t-elle. »

Deux semaines plus tard, lors de ma visite, le fils qui était présent me dit; « Docteur, on a pensé, mon amie et moi, que maman devrait changer de médecin. Vous demeurez à Sillery, c’est loin d’ici, elle va prendre un médecin demeurant dans le quartier, ceci sera plus pratique car, s’il survient une urgence, maman recevra des soins plus rapidement. »

Je reste consterné devant une telle déclaration faite devant la mère qui d’un signe de la tête me confirme la décision. Je quitte les lieux avec la cruelle sensation d’assister à une effroyable tragédie où une mère se laisse consciemment dépouiller par son fils outrageusement ingrat et malhonnête.


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