Les malheurs d’un alcoolique
Un tavernier que je connaissais bien avait la malencontreuse habitude de passer au magasin de la commission des liqueurs, on ne disait pas la régie à cette époque, pour se procurer un « 16 onces » de gin avant de se rendre à son commerce, Arrivé sur les lieux de son négoce, il ouvrait la bouteille contenant son maléfique nectar, la plaçait sur le comptoir et s’apprêtait à faire le ménage de la place. Plaçant les chaises sur les tables il passait la vadrouille humide sur le plancher et remettait le tout en ordre. À la fin de cette harassante besogne, la bouteille de gin était vide. De plus, il acceptait les libations que lui offraient ses clients.
Ayant pratiqué un tel régime de vie, pendant plusieurs années, il finit par développer une cirrhose, qui provoqua une ascite très importante. Son abdomen devint tellement distendu que j’ai dû l’hospitaliser pour le traiter. À chaque jour, puis aux deux jours, j’introduisais un trocart dans son ventre pour faire évacuer le liquide verdâtre qu’il contenait. Au début j’en évacuais environ deux litres quotidiennement pour enfin, après trois semaines, en tarir complètement la source.
Avant sa libération de l`hôpital, je l’avertis sérieusement que s’il recommençait à boire il mourrait dans deux ou trois semaines. Après quatre ans de régime sec, il se présente au bureau et me dit : « Docteur, je n’en peux plus! Chaque fin de semaine je joue aux cartes avec mes amis. Ils prennent un coup, ont du plaisir, s’amusent, et moi je m’embête en me contentant de téter un seven-up. Les soirées sont longues et ennuyeuses pour moi alors qu’eux s’envoient en l’air et sont heureux »
Je lui répète mon avertissement, à savoir que s’il recommence à boire ses jours seront comptés. Tant pis, dit-il, la vie sera plus belle. Hélas ! Il recommença à boire et mourut exactement 15 jours plus tard. J’en fus décontenancé, car je ne croyais pas que les délais seraient si courts.
Qui a bu boira
Un navigateur, sur le fleuve St. Laurent, dont l’épouse venait régulièrement au bureau, était un grand ami de la divine bouteille. Vint un jour où sa carrière fut en péril en raison de ses nombreux abus et des multiples plaintes que son ivrognerie provoquait.
Il décida de venir demander de l’aide. On a établi un programme d’abstinence qu’il suivit avec rigueur. Il était tellement fier de lui que, lorsqu’on se rencontrait, il me criait, sa satisfaction d’un trottoir à l’autre. Cependant, à l’occasion de sa première mission, au printemps suivant, il monta à bord d’un bateau dont le capitaine, qui appréciait son travail, lui offrit avec insistance de prendre un verre de vin au repas du midi. Malheureusement il accepta.
Trois jours, après son arrivée au terminus, son épouse reçut un appel téléphonique, l’informant que son mari était à l’hôtel sans le sou, il avait même vendu sa montre pour s’acheter de la boisson. Elle dut lui envoyer de l’argent pour le rapatrier à la maison.
De retour à Québec, il avait perdu son emploi. Il jura, de nouveau, que la boisson c’était définitivement fini pour lui, que plus jamais, sous aucun prétexte, il en prendrait une goutte. En effet, il tint promesse pendant quelques années.
Une occasion imprévue se présenta, et comme maman le disait si bien « L’occasion fait le larron » Des parents de son épouse, demeurant à l’extérieur de Québec sont venus les visiter. Le lendemain, ils retournèrent dans leur patelin. Dans l’après-midi, l’épouse de notre homme, s’absenta quelques heures pour faire des emplettes.
Resté seul à la maison, il fit le raisonnement suivant : « Il est impossible que ces gens, si gentils et si bien éduqués, soient partis sans laisser une marque de reconnaissance. Si le cadeau a été donné hors de ma présence, c’est certainement parce que mon épouse ne veut pas que je le sache. » Il entrepris une fouille intégrale de toutes les pièces, pour finalement trouver une bouteille de boisson.
Lorsque sa femme revint à la maison, elle trouva son mari, ivre mort, dans le bain, avec la bouteille vide à ses cotés.
« Abyssus abyssum invocat » l’abîme appelle l’abîme.