Souvenirs d'un vieux Doc




     Souvenirs de ma pratique médicale
     comme médecin de famille
     dans la ville de Québec.

dimanche, septembre 03, 2006



Avant-propos


Le médecin de famille, jadis, jouait un rôle important dans le monde médical. était proche de la famille, connaissait le mode de vie de ses patients, leur milieu familial, le comportement des parents et des enfants, le statut social, les capacités de chaque membre et souvent les besoins de ceux-ci.

Quand il se rendait chez un malade c’était pour le guérir parfois, le soulager souvent, et aussi pour le comprendre, le soutenir, l’aider, le consoler, compatir avec lui, le tout avec respect et abnégation. Il hospitalisait son patient, lui prodiguait les soins requis avec l’aide d’un spécialiste si la situation le nécessitait.

Au début de ma pratique médicale, les médecins de famille n’avaient pas l’autorisation de traiter leurs patients à l’intérieur d’un hôpital, ces privilèges étaient réservés aux seuls spécialistes. Grâce à la coalition de plusieurs médecins de la ville de Québec et des environs nous avons obtenu des gouvernements les fonds nécessaires pour fonder un hôpital (Christ-Roi ) où les médecins de famille seraient les médecins traitants et les spécialistes les consultants. J’avais dit à cette époque, lors d’une entrevue à la télévision, que l’Hôtel-Dieu, qui était alors le centre hospitalier le plus important de Québec et de la région, projetait de l’ombre sur mon bureau de consultations et que je ne pouvais y traiter mes malades.

L’hôpital (Christ-Roi) nouvellement construit était très fonctionnel; on y trouvait des salles de chirurgie, une section de soins intensifs des plus moderne, des départements de cardiologie, de médecine interne, d’obstétrique et de gynécologie, d’hématologie, de radiologie ainsi qu’une clinique d’urgence et de soins externes. Hélas le tout est maintenant converti en centre d’hébergement pour personnes âgées.

Les médecins de famille traitaient des personnes malades, tandis qu’aujourd’hui les omnipraticiens traitent des pathologies. Ils sont confinés dans des cliniques médicales où ils examinent les malades, expertisent leurs malaises avec des moyens très sophistiqués tel que l’imagerie médicale dont la tomodensitométrie, la résonance magnétique, l’échographie etc. Si la pathologie est importante, l’omnipraticien dirige le malade vers un spécialiste qui pourra l’hospitaliser. Aujourd’hui, beaucoup de médecins traitent les pathologies dont souffrent les patients sans rien connaître de leur milieu de vie, de leur environnement familial et des conséquences que la maladie peut avoir sur eux ou leur famille.

Tout ceci démontre, clairement, que les médecins de famille qu’on connaissait à l’époque semblent en voie de disparition. Si je publie le présent ouvrage, c’est dans l’unique but de revaloriser le rôle du médecin de famille et d’inciter les jeunes gradués en médecine à pratiquer une discipline médicale des plus humaines et des plus valorisantes : la médecine familiale





Préface


Ces « Souvenirs d’un vieux Doc » st un recueil d’anecdotes et d’historiettes que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire. La galerie de personnages qui meublent ces récits révèle bien la vie quotidienne, dans la dernière moitié du siècle dernier, de ces hommes, femmes et enfants d’un quartier défavorisé d’une grande ville du Québec. Qui d’autre était mieux placé que ce médecin de famille, vivant en symbiose étroite avec ses patients, pour nous raconter les grandeurs et misères de ces gens qu’il a traité avec respect, amour et générosité. Il était le médecin, le confident, l’ami, l’assistant communautaire de ses patients.

Le Dr. Vaillancourt n’est pas seulement un bon conteur doué d’un humour subtil. C’est aussi un homme qui sait titrer du passé des réflexions qui devraient inspirer ceux qui travaillent dans notre système médical actuel. Les changements sociaux et le développement des connaissances scientifiques des derniers vingt-cinq ans ont marqué profondément la pratique du médecin de famille. La médecine s’est toujours définie comme un art et une science. Mais, la science ne doit pas occulter l’art du médecin. Le médecin de famille d’aujourd’hui doit intégrer dans sa pratique des connaissances scientifiques étendues qui exigent de constantes mises à jour. Son plus grand défi est de savoir concilier cette approche scientifique aux critères d’humanisme et d’engagement essentiels à l’exercice de la médecine familiale.

Le Québec vit actuellement une importante pénurie de médecin de famille. Dans la plupart des régions, même urbaines, l’accès à un médecin de famille demeure le plus important problème. Certes, la pénurie globale d’effectifs médicaux explique en partie ce problème. Mais d’autres facteurs sont en cause. Ce modèle de pratique a souffert d’un certain discrédit auquel le développement accéléré de la science et de technologie n’est pas étranger. Notre société a valorisé d’emblée l’approche spécialisée, souvent au détriment de celle du généraliste dont les connaissances sont plus générales mais qui a le mérite d’intégrer un ensemble d’éléments dans sa prise de décision. Ce constat se retrouve dans tous les domaines et pas seulement celui de la médecine.

Heureusement, d’autres tendances se dessinent actuellement. Une utilisation hiérarchisée des ressources apparait bien d’avantage synergique. Notre système de santé en fait aujourd’hui le constat. Ses dirigeants souhaitent redonner au médecin de famille ses lettres de noblesse. La population formule aussi cette demande. Les patients sont perdus dans le labyrinthe des divers établissements et spécialités médicales. Tout comme à l’époque du Dr. Vaillancourt, ils souhaitent retrouver un médecin de famille qui saura assurer leur suivi et devenir leur référence pour tous leurs petits et grands problèmes de santé.

Le rôle du médecin de famille d’aujourd’hui doit être modernisé. Les jeunes omnipraticiens choisissent, à bon droit, un plan de vie plutôt qu’un plan de carrière. La formation du médecin de famille et ses conditions de pratique ne peuvent pas être celles du siècle dernier. Mais il a néanmoins besoin de modèles auxquels se référer. D’une manière différente, adaptée aux années 2000, il lui faut intégrer dans sa pratique les valeurs qui ont été celle de médecins comme le Dr. Vaillancourt.

Renald Dutil m.d.

Président Fédération des omnipraticiens du Québec





Les premières heures de ma pratique médicale


Le premier lundi de juin 1951, j’ouvrais mon bureau de consultations. J’avais tout préparé dans le but d’obtenir un rendement optimal. Je disposais d’une salle d’attente pouvant accueillir huit personnes, un bureau privé pour les consultations et une salle d’examens avec l’équipement des plus modernes, soit : une table d’examen de modèle récent, le nécessaire pour faire des plâtres, réparer des plaies et même enlever des corps étrangers dans l’œil et évidemment un appareil pour stériliser les instruments.

Le curé de la paroisse avait annoncé à toutes les messes du dimanche précédent qu’un jeune médecin ouvrait son bureau de consultations le lendemain, et qu’il recevrait les clients du lundi au vendredi de deux heures à quatre heures de l’après-midi et les lundi, mercredi et vendredi le soir de sept heures à neuf heures.

Or, le lundi en question dès deux heures j’étais en poste, à mon bureau, accompagné de ma réceptionniste pour accueillir notre premier patient. Hélas personne ne vint !!! Ne désespérant pas. Le soir à sept heures nous étions de nouveau en poste. Une patiente se présenta vers sept heures et demie…Enfin la glace était cassée…

Ce fut la seule de la soirée, et l’après-midi fut également la seule de toute ma pratique médicale où il ne se .présenta personne. En effet, quelques années plus tard, j’ai du déménager dans des locaux plus spacieux d’une superficie de 1400 pieds carrés ayant une salle d’attente pouvant asseoir 24 personnes, deux salles d’examens, un bureau de consultations très grand et j’étais assisté par une secrétaire médicale et une réceptionniste.





La présentation de ma première patiente à l’hôpital fut très différente, en voici la description.

La première patiente que j’ai hospitalisée, était une dame riche qui m’avait demandé de lui réserver une suite. Je me rends au bureau des admissions de l’hôpital et à ma grande surprise, dès que j’ai donné le nom de la patiente et exposé son désir on me répond : « avec plaisir docteur ». Le lendemain matin je me présente à la suite; madame était installée dans le salon et m’attendait, avec un beau sourire.

La jeune fille de cette dernière, qui était présente, me déclare avec un snobisme éhonté : « J’ai appris, docteur, que votre bureau de consultation est situé à la basse ville ! C’est dommage, qu’après de si belles études vous consacriez vos énergies auprès du Bas Peuple » Insulté, je lui ai répondu : « mon intention, madame, n’est pas de traiter des snobs mais des malades quel que soit leur lieu de résidence. » Elle était la digne fille de sa mère qui, lors d’une réception mondaine, s’était vantée d’avoir marié toutes ses filles à des professionnels. Il faut comprendre que tout cela se déroulait il y a 60 ans.

Aujourd’hui, j’aimerais rencontrer cette personne, qui est certainement devenue une grande dame, pour lui dire que les plus beaux moments de ma pratique médicale ne furent pas lorsque, le 24 juillet 1967, je fis partie de l’équipe médicale qui accompagna le général De Gaulle, lors de sa redonnée de Québec à Montréal et qui se termina par le fameux « Vive le Québec libre ». Ni quand le président d’une grande institution financière entrait dans mon cabinet de consultation ; mais bien ceux ressemblant à celui où je suis entré dans un taudis pour accoucher une courageuse maman et ai constaté que le garde-manger était vide. Que le menu de la journée était sur la table de la cuisine. Il s’agissait d’un grille-pain, d’un pain et d’un pot de beurre d’arachides. À tout instant, un enfant entrait, se faisait une rôtie sur laquelle il étendait…. du beurre d’arachides, la mangeait et retournait jouer dans la rue. Après l’accouchement, je me suis arrêté à l’épicerie du coin et fait parvenir un panier de provisions à la malheureuse famille.



samedi, septembre 02, 2006

Le diagnostic

Je crois que dans la pratique de la médecine, la partie la plus difficile est de poser un diagnostic. Il arrive souvent que le malade explique mal ses malaises ou douleurs et même cache certains symptômes par gène ou par pudeur. Je me souviens, qu’étant jeune médecin, j’ai été confronté à de telles situations, En voici quelques exemples :

Un homme d’environ quarante ans, au verbe abondant, mais au vocabulaire un peu particulier se présente à mon bureau de consultations et me dit « J’ai mal en arrière de moi ! » Je reste incrédule devant une telle affirmation et je crois, en première instance, que j’ai affaire à un schizophrène qui entend des voix derrière lui. Je le questionne avec circonspection m’efforçant d’en savoir d’avantage sur la densité, la durée, la localisation de la douleur, mais les réponses sont imprécises ou évasives. Si je prononce les mots fesses ou anus, je constate un grand malaise et me rends compte que j’attaque sa pudeur. Je me résigne à l’examiner plus attentivement, ausculte et palpe tous les parties de son dos qui sont susceptibles d’être douloureuses. Tout est négatif. Je me dis : malaise ou pudeur, je vais suivre ma première intention, et lui demande d’enlever son pantalon et de se coucher sur la table d’examen pour que j’examine son anus à la recherche de varices, Cette ultime démarche confirma mes soupçons, il était porteur de grosses varices qui étaient certainement très douloureuses.


Une autre fois, c’est une dame qui se plaint « D’avoir mal à la place de l’homme ! » Devant une telle déclaration, je fus estomaqué ne sachant trop comment entreprendre le questionnaire et de quel partie de son corps je devais la questionner en premier. Il était évident que son éducation sexuelle était très rudimentaire et farcie de nombreux tabous. Il me fallut faire preuve de grande diplomatie et de délicatesse avant d’attaquer le vif du sujet : de parler de son vagin et la faire consentir à un examen vaginal. En effet, elle était porteuse d’une vaginite très sévère. Je lui ai prescrit des médicaments et l’ai suivie régulièrement. À chaque visite, je m’efforçais de lui faire comprendre que son corps lui appartenait en propre et que sa fameuse « place de l’homme » était fictive. Finalement je crois que j’ai un peu réussi à la libérer de cette servitude.


Parfois un diagnostic peut être établi après un questionnaire très élaboré et en oubliant quelque peu la clinique. Ainsi une dame âgée me dit qu’elle souffre depuis un certain temps de : « la pi-tourne » J’étais complètement décontenancé, n’ayant jamais entendu parler d’une telle affection durant toutes mes études. Je me résolu donc à la questionner sur ses antécédents familiaux, sur la durée et l’intensité de la douleur et surtout sur la nature du phénomène qui me semblait bien peu médical. Finalement elle me dit que lorsqu’elle se couche elle prend des heures avant de pouvoir s’endormir et qu’elle tourne et se retourne dans son lit avant que le sommeil réparateur se présente. Un questionnaire plus poussé m’a permis de savoir qu’elle avait un gros problème familial et que lorsqu’elle se couche elle y pense et essaie de le résoudre. Je lui ai alors prescrit un anxiolytique et quinze jours plus tard elle est venue me dire qu’elle dormait facilement et que sa « pi-tourne » était guérie.



Médecin des pauvres

« La pauvreté est la pire forme de violence » Mohandas Gandhi


Des québécois charitables et merveilleux


Le fait de pratiquer la médecine dans un quartier peu favorisé impose au praticien une certaine responsabilité envers ceux qui sont éprouvés.

Le 22 décembre 1959, j’ai vécu une expérience qui fut pour moi très enrichissante. Un incendie majeur avait détruit un édifice à logements situé à un coin de rue de mon bureau. Plusieurs familles perdirent tous leurs biens et se trouvèrent à la rue. Devant un tel désastre, j’ai décidé d’intervenir pour les aider. J’ai communiqué avec monsieur Saint-Georges Coté, animateur de radio très populaire et qui était en ondes, à ce moment-là, pour qu’il invite la population a venir en aide à ces familles pauvres en faisant parvenir des dons en nourriture ou vêtements à mon bureau.

À ma grande surprise, en l’espace de quelques heures, des milliers de produits d’épicerie et de vêtements, arrivent de toutes parts et inondent ma salle d’attente. Je fais appel aux membres de l’Ambulance Saint-Jean, leur demandant de venir se joindre à ma secrétaire et aux nombreux bénévoles pour mettre de l’ordre dans tous ces objets et préparer des paniers de provisions.

En l’espace de 36 heures on avait recueilli plus de 19 000,00 $ en nourriture, vêtements et argent; six heures après le début de l’incendie, tous les sinistrés, soit plus d’une cinquantaine, étaient relogés et avaient assez d’aliments pour se nourrir durant le mois de janvier. Le surplus de vêtement a été remis à la société Saint-Vincent de Paul locale. On a même dû faire un appel spécial, à la radio, pour demander aux gens de cesser d’envoyer des dons.














Situations cocasses


Il m’est arrivé, à certains moments d’être, bien malgré moi, plongé dans des situations délicates, amusantes et même, parfois, burlesques. En voici quelques exemples.


Impatience mise à nu

Une patiente, d’apparence bien ordinaire, âgée d’environ 25 ans se présente, pour la première fois à mon bureau pour consultation. Après avoir fait son histoire médicale, qui était sans particularité, elle me demande de lui faire un prélèvement vaginal pour confirmer l’absence ou la présence d’un cancer du col utérin. Demande tout à fait légitime. On passe dans la salle d’examens, mais au même moment le téléphone sonne dans mon bureau. Je lui demande de se dévêtir, de s’allonger sur la table d’examens et de se couvriravec le drap mis à sa disposition pendant que je vais répondre au téléphone.

La conversation téléphonique s’allonge quelque peu. Quelle ne fut pas ma surprise, tout à coup, de voir la patiente, complètement nue, venir s’asseoir sur le coin de mon bureau, avec un sans gêne incroyable. Une fois la conversation téléphonique terminée, je lui fis remarquer que je n’appréciais guère cette conduite de mauvais goût, elle me répondit par un sourire qui me parut pour le moins équivoque.


Ha! L’éducation

Une maman se présente au bureau avec son fils d’environ 9 ans. Celui-ci est porteur d’un énorme et douloureux furoncle au bout de l’index. J’explique à l’enfant que je vais lui faire une anesthésie locale, crever son abcès pour évacuer le pus et ainsi enlever la tension et faire disparaître la douleur. Il me rétorque aussitôt : « Mon Taber…, t’es mieux de pas me faire mal !» Devant une telle réplique la mère me dit : « Excusez le, c’est dans la rue qu’il apprend ce langage. Que voulez-vous ? On fait notre possible pour bien les élever et ils se gâtent au contact de voyous » Je lui dit de ne pas s’en faire que j’avais déjà connu pire.

Après avoir terminé mon intervention et fait un beau pansement sur le doigt, la maman quitte avec son fiston et je l’entends lui dire : « Mon p’tit Chri…, tu vas en manger une Câli..., rendu à la maison! Ça t’apprendra à bien parler devant le docteur! »

Je me suis dit; « je crois que l’éducation de l’enfant se fait surtout à la maison, car la malheureuse maman avait un langage de sacristie beaucoup plus élaboré que celui des gamins de la rue. »





On se débrouille

Une jeune fille, qui vivait du commerce de la prostitution, vint me montrer ses jumeaux. Je les avais mis au monde quelques mois auparavant. Après avoir examiné les bébés qui ne souffraient pas de malnutrition et n’avaient certainement pas été privés de soins, bref, ils étaient en parfaite santé, je fis la remarque suivante : « Vos enfants sont richement habillés, ils se promènent dans un magnifique landau, ils sont vraiment chanceux. » Elle me répond, tout simplement : « Je n’ai rien payé pour ça : tout cela, je l’ai volé dans différents magasins et ceci en quelques jours seulement ».

Trop de bébés

Une patiente que je félicitais d’avoir une si nombreuse famille, malgré le faible revenu familial, me répondit : « Je n’avais pas le choix, car monsieur le curé m’aurait refusé les sacrements si je n’avais pas fait correctement mon devoir conjugal. » Elle ajouta « Mes trois derniers bébés ont dû dormir pendant environ quatre mois dans un tiroir de la commode de ma chambre à coucher, parce que le bébé précédent, n’était pas assez âgé pour partager son berceau avec un autre enfant, »

Il était impensable, pour cette admirable maman, d’aller à la messe à tous les dimanches, sans communier. Tous les paroissiens auraient remarqué ce déplorable manquement à la stricte discipline de l’Église et la réputation de la dame en aurait grandement souffert.

La m… police

Lors d’une visite de contrôle médical, une dame m’explique : « Mon fils n’est vraiment pas chanceux. Le mois dernier, me dit-elle, il est allé, durant la nuit, voler dans un magasin. Il ne savait pas que l’établissement était muni d’un système de caméra de surveillance. Le pauvre enfant a été photographié et le journal du matin rapportait le vol avec une photo du malheureux voleur.

C’est épouvantable me répétait-elle avec insistance, d’être aussi malchanceux, même sa sœur l’a reconnu. Ce qui est encore pire, à chaque fois qu’il y a un vol dans le quartier la police vient perquisitionner chez nous. » La mère semblait trouver normal que son fils vole, mais ne pouvait accepter qu’il soit à ce point malchanceux pour se faire ainsi photographier par une caméra de surveillance. Que voulez-vous? De nos jours le travail des voleurs est un peu hasardeux.

Une de mes patientes a perdu tragiquement trois de ses fils ils faisaient parti du monde de la drogue.

Le plus vieux, sortant d’un hôtel de Québec, se rend à sa voiture qui explose au moment du démarrage. Le deuxième fils reçoit une balle dans la tête alors qu’il circulait paisiblement sur la rue.

Le dernier a agi d’une manière beaucoup plus spectaculaire et…, calculée. Il se rendit dans son bar préféré, commanda une boisson en prit une gorgée et alla voir une personne attablée un peu plus loin, lui dit quelques mots, sortit de son veston un revolver et lui tira deux balles dans la tête. Il retourna au comptoir, vida son verre, sortit de nouveau son revolver et se tira une balle dans la bouche.

Après de telles tragédies, la maman se sentait obligée de protéger son dernier fils, ce qu’elle fit avec brio. C’est avec fierté qu’elle me raconta son haut fait d’armes.

« La police, me dit-elle, était venu perquisitionner chez-nous à la recherche de drogue, car mon jeune fils était soupçonné d’en faire le trafic. Je ne pouvais me faire à l’idée qu’il irait en prison. Au moment où les policiers interrogeaient mon fils, je réussis à me soustraire à l’attention de ces derniers et cachai la drogue dans mon soutien-gorge. J’ai eu chaud, mais j’ai sauvé mon fils, disait-elle, d’un air triomphant. »





Je n’ai su quoi répondre.

Une jeune dame se présente à mon bureau pour la première fois. Je rédige son histoire médicale qui était normale. Quand vient le moment de la questionner sur ses antécédents familiaux, je fus stupéfié et avec raison À la question : « Votre mère est-elle en bonne santé? » elle répond : « Maman est morte accidentellement ainsi que mes frères et sœurs » Je m’informe : « S’ont-ils décédés lors d’un incendie ou d’un accident d’automobile ? » Non, réplique-t-elle calmement, « c’est mon père qui les a tous tués à coup de hache. J’ai été épargnée parce que j’étais en visite chez ma cousine lors du carnage, » Après une telle déclaration j’étais réellement bouleversé et la suite du questionnaire devient laborieuse.

Une pierre de plus dans mon jardin


Un jour, j’ai dû hospitaliser une patiente qui venait au bureau régulièrement. Elle avait des pierres dans sa vésicule biliaire et son état nécessitait une intervention chirurgicale.

C’était une dame très distinguée et surtout réservée. Le lendemain de son hospitalisation, je me rends à son chevet pour faire son examen médical préopératoire. J’examine ses poumons, son coeur et, subitement, elle me saute au cou, m’embrasse avec frénésie et me fait une déclaration d’amour des plus enflammée.

Après une longue conversation, entrecoupée de ses sanglots, j’ai réussi à lui faire comprendre que je la considérais comme une patiente et que ses marques d’affection étaient réellement déplacées. Une fois, son traitement chirurgical terminé, elle quitta l’hôpital. Je ne l’ai jamais revue.


Héritage


Une de mes patientes qui avait trimé toute sa vie à faire des ménages pour les autres, avait réussi à se procurer une maisonnette qu’elle habitait avec son ami de cœur

Lors de son décès dans un hôpital, je rencontre, en sortant de la chambre de la défunte deux hommes, genre clochards, qui se disputent. Je leur demande qui ils sont pour venir perturber un endroit aussi paisible. Ils me répondent qu’ils sont les fils de la défunte. J’avais traité cette vieille dame pendant plusieurs années et j’ignorais qu’elle avait des enfants. Je leur dis ma surprise d’apprendre qu’elle avait deux fils. Sur un ton très ferme, ils me disent que cela ne me regarde pas et qu’ils savent qu’un locataire, probablement l’amant de leur mère, habitait la maison maternelle. Vu que nous sommes au dernier jour du mois, ils se disputent pour savoir comment récupérer ce loyer mensuel payable à leur mère.

Heureusement, la vénérable maman avait fait un testament et c’était son ami de toujours qui héritait de tous ses biens.


Quand on place sa vieille mère dans un centre d’hébergement, il se produit parfois des situations mélodramatiques. C’est ce que j’observai, lorsque deux sœurs sont venues conduire leur mère au CHSLD où je pratiquais. Une vive dispute éclata entre elles afin de déterminer laquelle aurait le manteau de fourrure de leur mère. (Ledit manteau « avait du vécu » et avait perdu beaucoup de son lustre depuis un certain temps). La dispute prenant une envergure disproportionnée, la maman mit une fin rapide aux arguments acerbes en déclarant que le manteau la suivrait au centre d’hébergement, qu’il serait remisé dans un placard et qu’elles pourraient en prendre possession seulement à son décès, qui surviendra quelques années plus tard.

Le manteau suspendu pendant tout ce temps à un support métallique avait perdu tout son lustre et n’était plus qu’une loque sans aucune valeur.


Jalousie


J’ai eu à accoucher l’épouse d’un mari jaloux dans des circonstances un peu loufoques. Ce dernier insista pour assister à l’accouchement (ce qui à l’époque n’était pas permis) sous prétexte qu’il voulait scruter tous les gestes et attouchements qui seraient faits sur sa femme. Après avoir reçu l’assurance qu’il ne s’approcherait pas de la table d’accouchement et qu’il n’interviendrait en aucune façon lors des manœuvres médicales, il lui fut permis de pénétrer dans la salle d’accouchement.

Lors de la délivrance du nouveau-né j’entends un bruit sourd, je regarde aussitôt du coté de notre visiteur inhabituel pour constater qu’il gît inconscient sur le plancher. Je termine mes manœuvres obstétricales et je vais le relever. Il n’avait pas subi de lésion mais la leçon avait porté fruit puisqu’il n’a pas demandé d’assister aux autres accouchements de son épouse.


Étant médecin responsable des patients logés dans l’aile psychogériatrique d’un CHSLD où la majorité des patients souffraient de la maladie d’ Alzheimer. J’ai connu une situation un peu particulière. Une dame dont le mari souffrait de cette terrible maladie avait remarqué que son mari se promenait toujours accompagné de la même femme, qui elle aussi souffrait de cette pathologie Il faut comprendre que ces malades ont souvent cette habitude de se promener durant de longues heures dans les corridors. Mais, l’épouse n’admettait pas que son mari le fit toujours accompagné de la même personne. Elle lui faisait de pénibles scènes et, manifestement, le pauvre homme ne comprenait rien à ses invectives. De plus, elle reprochait au personnel traitant d’être complice de ces « familiarités » et exigeait qu’on interdise ces « dégradantes et immorales conduites… ».

Je m’informai auprès de la famille si le malade n’avait pas eu, avant son mariage, une amie de cœur. On me répondit dans l’affirmative. De plus, cette dernière ressemblait beaucoup à la personne qui se baladait avec notre malade.

Convaincu que j’avais la solution du problème. Je convoquai la malheureuse épouse pour lui expliquer que son mari et la dame en question souffraient de la maladie d’Alzheimer, qu’ìls n’étaient pas responsables de leurs actes, que leur comportement n’avait aucune accointance sexuelle, qu’ils ne pouvaient même pas se parler ayant tous deux atteint un stade avancé de la maladie. Rien n’y fit et la dame continua à exiger que l’on intervienne pour faire cesser ces balades. On a dû demander au personnel de reconduire le patient à sa chambre, lors des visites de son épouse.





Avais-je vraiment le choix?


Il m’est arrivé, un jour, de boire sous pression une bière qui n’en était pas.

Une de mes patientes me téléphone, alors que je terminais mon souper, pour me demander de me rendre immédiatement chez-elle, pour traiter son ami qui s’était gravement blessé à la main. En arrivant à la maison, je constate que l’ami à l’haleine accusatrice, mesurait environ six pieds et cinq pouces et pesant au moins 325 livres, un vrai mastodonte. Il avait la main droite enveloppée dans une serviette de bain.

Il enleva le précaire pansement, et je vis qu’il avait une profonde entaille d’environ trois pouces à la paume de la main. Il m’expliqua, qu’ayant eu une saute d’humeur il avait déposé, un peu brusquement sur la table, un verre de bière qui s’était brisé et que les éclats lui avaient coupé la main.

Je lui expliquai qu’il devrait se rendre à l’hôpital où on lui réparerait le tout sous anesthésie. Il me répond, sur un ton autoritaire : « Je t’ai pas fait venir ici pour me donner des conseils, mais pour réparer ma plaie ». J’essayai de lui faire comprendre que je n’avais pas le matériel nécessaire pour faire une anesthésie locale convenable. Ne me laissant pas le temps de finir mon argumentation, il se leva et dit d’une voix de stentor : « Tu fais de la chirurgie, tu es capable de coudre ma plaie ». Je répondis affirmativement. Alors continue-t-il « L’anesthésie c’est pas ton problème, c’est le mien, me prends-tu pour une poule mouillée? Fais le job et t’occupe pas du reste »

Devant des arguments aussi convaincants, je déballai ma trousse médicale qui contenait un nécessaire à chirurgie plutôt sommaire. Je m’appliquai à faire, sous anesthésie locale rudimentaire, la ligature des vaisseaux qui saignaient et une suture que j’ai plutôt bien réussie.

Alors, notre matamore se lève, me donne la main (gauche) et me dit « Je te félicite, t’es un bon doc, t’as fait un beau job. Se tournant vers son amie, il lui dit : « sers au Doc un verre de bière, il l’a mérité ». Je le remercie en lui disant que je ne désire pas prendre une bière si tôt après mon souper. Je me lève pour quitter les lieux. Mais d’un geste brusque et des plus inattendu, il me rassoie sur ma chaise.

Pendant cette manifestation subite et burlesque d’amitié, le verre de bière était apparu sur la table. C’est ainsi, que sous pression, j’ai bu une bière qui elle ne l’était pas.



vendredi, septembre 01, 2006



Égoïsme médical

Un brave cultivateur se présente au bureau et me raconte son histoire; « Je viens de la Beauce, me dit-il, je préfère parler à un médecin de la ville, parce que je suis certain, qu’en agissant ainsi, personne dans mon village ne sera au courant. Mon épouse vient de décéder à l’hôpital Robert Giffard (centre hospitalier pour aliénés) où elle avait été hospitalisée pendant plus de vingt ans. Durant tout ce temps, sous les sévères consignes de mon curé, je n’ai eu aucune activités sexuelles. Mais aujourd’hui, je suis libre et j’aimerais sortir avec la maîtresse d’école de mon village. C’est une femme intelligente, très belle qui a la réputation de faire l’amour d’une façon des plus excitante à un point tel que ses deux maris sont morts durant une relation sexuelle. »

J’essaie de lui faire comprendre que mourir lors d’une relation sexuelle est un fait assez fréquent et qu’il n’est pas nécessairement en corrélation avec les acrobaties, les manœuvres et les manipulations érotiques. Mes arguments n’ont pas changé ses appréciations sur les capacités aphrodisiaques de sa fameuse maîtresse d’école. Il continue à m’exposer ses inquiétudes, en ces termes : « Ayant été abstinent pendant de nombreuses années, j’ai peur de ne pas être à la hauteur de la situation. Pourriez-vous me prescrire une pilule qui me permettra d’avoir une érection digne d’un homme et cela à chaque fois qu’il sera nécessaire. Mes amis m’ont dit que cette pilule existe réellement. »

Je lui explique que ce médicament n’existe pas (à l’époque le viagra n’était pas sur le marché) et qu’il devra se contenter de pratiquer avec l’espoir que ses efforts seront un jour comblés. À ma grande surprise, il me traite d’incompétent, d’ignorant et ajoute que, si je connais la séduisante et souhaitable pilule, je ne suis qu’un misérable égoïste qui refuse de partager les bienfaits que la science nous prodigue. Il refuse même de me payer mes honoraires.

Finalement, il me paie mon dû et me quitte en bougonnant pour sa Beauce natale.



Hystérie


Un soir de Noël, pendant que je réveillonnais avec tous les miens, un patient me téléphone. Il me supplie de me rendre immédiatement chez-lui parce que sa fille fait une terrible crise d’hystérie et qu’il ne peut la contrôler. Je m’excuse auprès de mes convives et me rend sur les lieux du drame.

À mon arrivée, le père éploré me dit que sa fille est dans cet état, depuis son retour de la messe de minuit. La situation m’est apparue réellement tragique. La jeune fille est au deuxième étage; crie à tue-tête, hurle, pleure, tient des propos incohérents. Tout le monde dans la maison est aux abois. Le père me supplie de monter à l’étage et de donner une piqûre à sa fille pour la calmer. Je me dirige vers l’escalier, mais je ne suis pas encore rendu à la première marche, qu’elle me lance une chaise, un tabouret et différents objets qui lui tombent sous la main.

Devant une telle opposition, je dis au père de monter le premier et que je le suivrais. Il refuse carrément. Évidemment je ne monte pas et explique, que d’après moi, la meilleure solution est de laisser la jeune fille extérioriser son désespoir et que finalement, une fois exténuée, elle se calmera.

Avant de quitter les lieux, je m’informe du motif d’une telle scène. On m’explique que la jeune fille devait se fiancer durant la messe de minuit. Au moment de l’élévation du Saint-Sacrement, le fiancé devait lui passer au doigt l’anneau qu’elle avait elle-même choisi et elle-même acheté. Après la messe, elle devait lui faire visiter l’appartement qu’elle avait, elle-même loué et meublé. Mais…, hélas!… le fiancé ne s’était pas présenté à l’église, d’où le grand désappointement et la terrible crise.

Je suis retourné à mon réveillon en me disant que « l’ex- futur- fiancé » avait peut-être agi avec sagesse.





Me rendant à mon bureau par un bel après-midi d’été, je rencontre un ancien patient qui, d’un air joyeux me dit : « Doc! Je m’en vais boire ma femme ». Devant une telle affirmation, stupéfait, je lui demande des explications. «

Ma femme est morte ce matin, me dit-il, et je l’ai vendue à l’université pour cinq piastres. Ils sont même venus la chercher dans son lit sans aucun frais Son corps va servir à la dissection pour les étudiants en médecine. Avec cet argent (à cette époque la bière se vendait environ dix sous le verre) je me rends à la taverne festoyer son décès avec mes amis. »

Il est vrai que son épouse était une femme de mœurs légères. De la rue, on la voyait souvent à sa fenêtre revêtue légèrement et dans une attitude voluptueuse. Émile Zola aurait pu s’en inspirer pour écrire les vers suivants :

« La blonde et chère enfant, à la fenêtre assise,

De ses cheveux livrait les boucles à la brise,

Et, penchée en arrière, à mes yeux découvrait

Son sein demi voilé qu’un soupir agitait »


J’ai appris quelques jours plus tard, que les sœurs de la défunte, avaient remboursé l’université, fait célébrer des funérailles et inhumer leur sœur. Maintenant elles peuvent dire avec Pierre de Ronsard :

« Ainsi en ta première et jeune nouveauté,

Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,

La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes,

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,

Ce vase plein de lait, ce panier de fleurs.

Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses. »





Gonorrhée


Un capitaine de goélette qui avait navigué sur le fleuve durant toute la saison estivale avait, le moment venu, remisé son petit navire. Pour fêter la fin de son pénible labeur, les longues nuits à faire la vigie à la proue de son navire et le début de ses vacances, il avait passé une nuit avec une prostituée Malheureusement, comme prix de ses bacchanales, il contracta une gonorrhée.

Revenu, dans Charlevoix auprès de son épouse adorée, dont il s’était terriblement ennuyé durant tout l’été, il lui récita probablement ces vers d’Émile Zola ;

« Il est de ces amours, banales et vulgaires,

Qu’un poète menteur drape d’un manteau d’or,

Il est, dans le ciel bleu, des amours mensongères,

Que riment à seize ans les cœurs vides encor,


Mais il est des amours profondes, des tendresses

Qui forcent les amants à se parler tout bas,

Emplissant les baisers de leurs âpres ivresses;

Ces amours, on les vit, on ne les rime pas . »


Malheureusement, en passant aux actes il a, bien malgré-lui, transmis sa gonorrhée à son épouse. Devant ce triste constat, ils décidèrent de se rendre à Québec consulter un médecin.

Arrivés à mon bureau, le mari demande de me voir en premier et seul. Il me raconte sa mésaventure. Me dit qu’il a expliqué à son épouse que l’infection venait d’un contact avec une toilette publique malpropre. Et me demande de ne pas le contredire devant elle.

Après ce petit laïus, il demanda qu’on fasse entrer son épouse dans mon bureau, Alors, il raconte son histoire de toilette publique. Je ne dis pas un mot. Je donne à chacun une injection d’antibiotiques et une prescription pour continuer le traitement à domicile. L’épouse n’a pas dit un seul mot pendant toute la durée de la consultation.

Au départ, elle me remercie en me faisant un clin d’œil qui m’a clairement laissé entendre qu’elle n’acceptait pas l’histoire de la toilette, mais appréciait le traitement. J’ai compris, une fois de plus, que le silence est d’or et peut souvent éviter des catastrophes




Fils ingrat

J’avais parmi mes patients une dame âgée que je visitais régulièrement. Veuve d’un mari alcoolique qui lui avait causé bien des tracas, principalement parce qu’elle avait, contre son désir, adopté un garçon. Ce fils adoptif, à moitié accepté, a eu un style de vie un peu particulier; passant rapidement du métier de vide-gousset à celui de cambrioleur. Finalement, il s’est retrouvé comme pensionnaire au pénitencier.

À la sortie de cette « respectable » institution, il s’est rapproché de sa généreuse et consolatrice maman qui lui vouait un amour maternel indéfectible. Cette relation filiale donna naissance à un climat de confiance entre la maman, son fils et l’amie de ce dernier.

Lors d’une de mes visites hebdomadaires, la madame me dit : « Docteur, je voudrais avoir votre avis sur ce qui m’arrive. Mon garçon voyant que je dois sortir pour payer mes comptes, mon loyer et faire mes emplettes, me suggéra de les faire à ma place. Je trouvai cela très gentil de sa part et j’acceptai. C’était réellement édifiant de les voir, tous les deux, lui et son amie, me demander ce que je voulais et faire avec empressement toutes mes commissions.

Un jour, mon fils me dit; « Maman, j’ai discuté avec ton gérant de banque des nombreuses démarches qu’on fait pour toi, soit : payer ton loyer, ton électricité, faire tes achats, ce qui nécessite de multiples visites à la banque pour retirer de l’argent. On est venu à la conclusion que si tu signais une procuration nous permettant de faire des chèques en ton nom, le tout deviendrait beaucoup moins exigeant pour nous.

Comme la suggestion venait du gérant de ma banque je n’y ai vu aucune objection et j’ai signé le document qu’on me présenta. Le tout fonctionna très bien, mais la semaine dernière, la compagnie de téléphone m’avertit que mon compte n’avait pas été payé et que ce retard m’occasionnerait des frais supplémentaires. J’ai signalé le fait à mon fils et à son amie. Ils m’ont répondu qu’ils avaient oublié de faire ce paiement et que le tout serait corrigé la journée même.

Aujourd’hui j’apprends que c’est le compte de l’électricité qui n’est pas réglé. Je commence à m’inquiéter, d’autant plus qu’à la mort de mon mari j’ai reçu une assurance de 40 000,00$, somme que j’ai placée à la banque. Croyez-vous, docteur que je peux perdre toutes mes économies? » Je me montre le plus confiant et réconfortant que possible et lui propose d’aller voir le gérant de la banque pour s’informer. « J’aimerais beaucoup si vous y alliez à ma place » dit-elle.

J’accepte et me rends chez le fameux gérant. Celui-ci m’informe que le fils retire de deux à trois mille dollars par semaine et qu’actuellement le compte de banque de madame a diminué de plus de la moitié. Il ajoute : « Je ne peux rien faire pour contrer ces douteuses manœuvres, la mère a signé une procuration en faveur de son fils. »

Je retourne voir la malheureuse maman et lui raconte les faits. Merci docteur, me dit-elle, je vais régler ça. La semaine suivante, je m’informe comment le litige s’est solutionné. C’est avec une désarmante candeur qu’elle m’explique : « Mon fils m’a dit que tout est vrai, mais qu’ils ont pris cet argent pour acheter des meubles et que dès qu’il se sera trouvé un emploi, ils me rembourseront en entier avec les intérêts. Ils m’en ont pas parlé afin de ne pas m’inquiéter inutilement, ils sont vraiment gentils, rajouta-t-elle. »

Deux semaines plus tard, lors de ma visite, le fils qui était présent me dit; « Docteur, on a pensé, mon amie et moi, que maman devrait changer de médecin. Vous demeurez à Sillery, c’est loin d’ici, elle va prendre un médecin demeurant dans le quartier, ceci sera plus pratique car, s’il survient une urgence, maman recevra des soins plus rapidement. »

Je reste consterné devant une telle déclaration faite devant la mère qui d’un signe de la tête me confirme la décision. Je quitte les lieux avec la cruelle sensation d’assister à une effroyable tragédie où une mère se laisse consciemment dépouiller par son fils outrageusement ingrat et malhonnête.




Les malheurs d’un alcoolique

Un tavernier que je connaissais bien avait la malencontreuse habitude de passer au magasin de la commission des liqueurs, on ne disait pas la régie à cette époque, pour se procurer un « 16 onces » de gin avant de se rendre à son commerce, Arrivé sur les lieux de son négoce, il ouvrait la bouteille contenant son maléfique nectar, la plaçait sur le comptoir et s’apprêtait à faire le ménage de la place. Plaçant les chaises sur les tables il passait la vadrouille humide sur le plancher et remettait le tout en ordre. À la fin de cette harassante besogne, la bouteille de gin était vide. De plus, il acceptait les libations que lui offraient ses clients.

Ayant pratiqué un tel régime de vie, pendant plusieurs années, il finit par développer une cirrhose, qui provoqua une ascite très importante. Son abdomen devint tellement distendu que j’ai dû l’hospitaliser pour le traiter. À chaque jour, puis aux deux jours, j’introduisais un trocart dans son ventre pour faire évacuer le liquide verdâtre qu’il contenait. Au début j’en évacuais environ deux litres quotidiennement pour enfin, après trois semaines, en tarir complètement la source.

Avant sa libération de l`hôpital, je l’avertis sérieusement que s’il recommençait à boire il mourrait dans deux ou trois semaines. Après quatre ans de régime sec, il se présente au bureau et me dit : « Docteur, je n’en peux plus! Chaque fin de semaine je joue aux cartes avec mes amis. Ils prennent un coup, ont du plaisir, s’amusent, et moi je m’embête en me contentant de téter un seven-up. Les soirées sont longues et ennuyeuses pour moi alors qu’eux s’envoient en l’air et sont heureux »

Je lui répète mon avertissement, à savoir que s’il recommence à boire ses jours seront comptés. Tant pis, dit-il, la vie sera plus belle. Hélas ! Il recommença à boire et mourut exactement 15 jours plus tard. J’en fus décontenancé, car je ne croyais pas que les délais seraient si courts.


Qui a bu boira

Un navigateur, sur le fleuve St. Laurent, dont l’épouse venait régulièrement au bureau, était un grand ami de la divine bouteille. Vint un jour où sa carrière fut en péril en raison de ses nombreux abus et des multiples plaintes que son ivrognerie provoquait.

Il décida de venir demander de l’aide. On a établi un programme d’abstinence qu’il suivit avec rigueur. Il était tellement fier de lui que, lorsqu’on se rencontrait, il me criait, sa satisfaction d’un trottoir à l’autre. Cependant, à l’occasion de sa première mission, au printemps suivant, il monta à bord d’un bateau dont le capitaine, qui appréciait son travail, lui offrit avec insistance de prendre un verre de vin au repas du midi. Malheureusement il accepta.

Trois jours, après son arrivée au terminus, son épouse reçut un appel téléphonique, l’informant que son mari était à l’hôtel sans le sou, il avait même vendu sa montre pour s’acheter de la boisson. Elle dut lui envoyer de l’argent pour le rapatrier à la maison.

De retour à Québec, il avait perdu son emploi. Il jura, de nouveau, que la boisson c’était définitivement fini pour lui, que plus jamais, sous aucun prétexte, il en prendrait une goutte. En effet, il tint promesse pendant quelques années.

Une occasion imprévue se présenta, et comme maman le disait si bien « L’occasion fait le larron » Des parents de son épouse, demeurant à l’extérieur de Québec sont venus les visiter. Le lendemain, ils retournèrent dans leur patelin. Dans l’après-midi, l’épouse de notre homme, s’absenta quelques heures pour faire des emplettes.

Resté seul à la maison, il fit le raisonnement suivant : « Il est impossible que ces gens, si gentils et si bien éduqués, soient partis sans laisser une marque de reconnaissance. Si le cadeau a été donné hors de ma présence, c’est certainement parce que mon épouse ne veut pas que je le sache. » Il entrepris une fouille intégrale de toutes les pièces, pour finalement trouver une bouteille de boisson.

Lorsque sa femme revint à la maison, elle trouva son mari, ivre mort, dans le bain, avec la bouteille vide à ses cotés.

« Abyssus abyssum invocat » l’abîme appelle l’abîme.





Bon appétit

Parfois la visite sur un navire est agréable. Ainsi, par une belle matinée d’un samedi d’automne on me demande de me rendre à bord d’un céréalier, qui déchargeait sa cargaison de blé au bassin Louise, afin d’examiner des membres de l’équipage. Le capitaine, qui était un italien très affable, me demande de passer à ses quartiers avant de quitter le navire.

Après avoir assumé mes responsabilités médicales, je me rends au salon où le maître du navire m’attend. Il me fait visiter les lieux, qui étaient très confortables et aménagés avec goût, me demande si j’accepterais de dîner avec lui. Devant tant d’attention, je ne pouvais pas refuser une telle invitation. Nous nous installons au salon. Il m’offre un délicieux apéritif et fait venir son cuisinier, qu’il me présente et lui demande de préparer la table pour deux.

Ayant, dégusté le merveilleux Pinot, nous passons à la salle à manger. On s’installe à la table garnie d’une riche argenterie. On nous offre un potage fortement assaisonné, puis le cuisinier nous sert un impressionnant plat de pâtes que je mange avec d’autant plus d’appétit qu’il est accompagné d’un bon vin italien. Le chef de cuisine, retire nos assiettes vides et revient avec un splendide Chateaubriand.

Devant un tel déploiement alimentaire, je reste estomaqué; je croyais que les pâtes étaient le plat principal et je n’avais pas l’appétit pour entamer un mets aussi élaboré. Le capitaine devina mon désarroi. J’ai dû lui expliquer que, ayant pris un gros déjeuner, j’étais rassasié. Qu’à cela ne tienne, dit-il, on n’est pas pressés et avec un bon vin l’appétit reviendra. Il demanda à son cuisinier de nous servir le meilleur cru de son cellier.

En effet, après avoir pris quelques gorgées de ce délicieux nectar, je pouvais affirmer, comme le proverbe tiré de la bible « Bonum vinum laetificat cor hominis » le bon vin réjouit le cœur de l’homme. En fin d’après-midi je quittai mon remarquable hôte l’estomac rempli et le cœur joyeux, me disant que la pratique médicale a parfois ses bons cotés.







Au secours d’un malade

Ayant mon bureau près du port de Québec, il arrivait, parfois, que des arrimeurs, me fassent part qu’un capitaine de navire passant devant la ville, demande un médecin à son bord. Un jour, le capitaine d’un gros navire transportant de la marchandise de Montréal vers un port européen, demanda la présence d’un médecin pour examiner un matelot malade.

On me fait la demande, j’accepte, Je me rends au quai des pilotes et monte à bord de la chaloupe à moteur qui assure le transport des pilotes dans le port, et on se dirige vers le pont de Québec, sous lequel le navire venait de passer. On se range le long du navire qui avait ralenti sa vitesse afin de me permettre d’examiner le marin pendant qu’il naviguait devant Québec. Un matelot qui était sur le pont, à environ 25 pieds au dessus de nos têtes, envoie une échelle de corde et un câble qui atterrissent dans la chaloupe. On attache ma trousse médicale au câble et moi je m’agrippe à l’échelle et monte sur le navire où m’attend le capitaine.

Après les salutations d’usage, on se dirige vers la cabine du matelot plaignant. Chemin faisant, le capitaine me dit que le malade se plaint de fortes douleurs à l’abdomen et qu’il veut être hospitalisé, cependant, ajoute-t-il je suis certain qu’il simule toutes ses souffrances dans le seul but de quitter le navire.

Rendus à la cabine du souffrant, le capitaine me le présente et se retire en fermant la porte. Aussi tôt celle-ci fermée, le matelot sort de son lit et se jette à mes genoux et me supplie de le déclarer gravement malade afin qu’il puisse retourner à terre. Cette honteuse démarche m’exaspère au plus haut point. Je lui dis de s’allonger sur le lit. Je prends sa pression artérielle, ausculte son cœur et ses poumons et examine attentivement son abdomen qui, disait-il était le lieu de ses atroces douleurs. Je le palpe en tous sens à la recherche d’une zone douloureuse ou d’une tumeur quelconque : tout est parfaitement normal.

Je me rends à la capitainerie et dit au capitaine qu’il peut faire sa traversée transatlantique sans inquiétude, que je considère que son matelot en parfaite santé, que je n’ai découvert aucune pathologie ou malaise. Évidemment je n’ai pas raconté la dégradante démarche de ce dernier.

En revenant au quai, je me disais : j’en connais un qui va trouver la traversée de l’atlantique plutôt longue.





Un nœud gordien

« Je veux vivre avec des regrets non avec des remords. » J. Renard


Parmi les situations particulières que j’ai vécues en voici une qui m’a grandement touché et qui demandait beaucoup de courage, de maturité et de volonté de la part d’un homosexuel avec une propension malheureuse à la pédophilie.

Ces évènements sont survenus à l’époque où l’adoption des enfants était plutôt facile. Le gouvernement avait organisé un service de sauvegarde de l’enfance. Cet organisme s’occupait, tout particulièrement des enfants abandonnés. Ainsi si on accouchait une fille mère et que celle-ci ne voulait pas ou ne pouvait pas prendre charge de l’enfant, le nouveau-né était confié à cet organisme qui s’occupait du placement du bébé. En qualité de médecin accoucheur, il nous était facile de présenter une famille adoptive. Suite à une rigoureuse enquête et si tous les critères étaient respectés, l’adoption se réalisait à la satisfaction des deux partis. C’est une procédure que j’ai employée à quelques reprises et qui a donné dans tous les cas, d’heureux résultats pour l’enfant, la jeune mère et la famille d’accueil.

Voici la délicate situation dans laquelle je fus placé. : Des parents, à qui j’avais facilité l’adoption d’une petite fille quinze mois auparavant, décident d’adopter un autre enfant afin de pouvoir, disent-ils, élever les deux en même temps.

Avant de prendre une telle décision, le père vient me voir et m’explique sa triste et très particulière situation. « Ma femme, me dit-il, veut absolument adopter un garçon. Je ne puis sous aucun prétexte accepter cette suggestion et voici pourquoi : Je suis homosexuel avec une forte tendance vers la pédophilie. Je sais que si nous adoptons un garçon, un jour ou l’autre, il arrivera un malheur et je le violerai. Ce que je ne peux envisager. »

Nous discutons longuement de ses tendances à la pédophilie. Il était évident, et ceci de son propre aveu, que devant un jeune garçon, ses instincts pervers devenaient très difficiles à contrôler. Nous concluons que la seule solution à ce scabreux problème serait qu’il vienne à mon bureau avec son épouse afin qu’on discute de l’adoption sans jamais faire allusion à l’homosexualité.

La rencontre eut lieu. J’exposai à la mère qu’il serait préférable qu’ils adoptent une autre fille afin qu’elles évoluent ensemble, partagent les mêmes jeux et les mêmes activités et qu’elles s’épanouissent en une sorte de symbiose. Si un garçon était dans le décor, sa seule présence pourrait être la source de perpétuels conflits durant leur enfance et tout particulièrement à l’adolescence.

Heureusement, je fus assez convaincant. Quelques mois plus tard ils adoptèrent une petite fille. Les deux enfants connurent une vie heureuse et sont toutes deux devenues mères de famille à leur tour.





Circoncision


Dieu dit à Abraham (âgé de 99 ans) : « Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera pour signe de l’alliance entre moi et vous »

(Genèse, XVII, 11)

En catimini

Il arrive, parfois, que des patients nous fassent des demandes un peu saugrenues. Un homme d’une cinquantaine d’années se présente à mon bureau et me raconte son histoire. « Je suis veuf, j’ai l’intention de me remarier et je veux être circoncis (il en avait vraiment besoin) avant que ma future épouse ne prenne connaissance de mon handicap. De plus je veux que le tout soit fait dans la plus stricte intimité. » Il insista pour que l’intervention soit faite à mon bureau, en dehors des heures d’ouverture et en l’absence de mon infirmière. Je lui explique que faire cette opération dans de telles circonstances comporte un certain risque. « Qu’importe, dit-il, je veux absolument être circoncis et ceci en catimini. »

J’accepte le défi. Quelques jours plus tard je réalise l’intervention avec succès. Il en fut très heureux et manifesta sa joie avec ostentation. Devant une telle satisfaction, je ne pus m’empêcher de lui demander : « pourquoi il avait insisté pour que tout soit fait avec tant de discrétion. » « Je voulais que personne ne soit au courant, d’autant plus que mon fils est un de vos confrères » (ce que j’ignorais).

Dans mon for intérieur je me suis dis : Jean-Jacques Rousseau avait raison « Le signe le plus assuré du vrai contentement d’esprit est la vie retirée. »


Manquée

Hélas! Toutes les circoncisions ne sont pas aussi gratifiantes. Un jeune homme âgé d’environ 18 ans se présente à mon bureau et me demande si je pouvais le circoncire. Je lui dis que la majorité des garçons n’ont pas besoin de cette intervention chirurgicale et que c’est probablement son cas, Il m’explique qu’il va se baigner régulièrement dans une piscine publique et que la grande majorité des gars le sont. Je l’examine et constate qu’il est parfaitement normal qu’il n’a aucunement besoin de cette chirurgie et que je n’en ferais certainement pas une par complaisance.

Il quitte le bureau franchement désappointé. Environ une heure après, alors que ma salle d’attente était bondée de patients et que j’étais en consultation avec une malade, ma réceptionniste me dit que le jeune homme est revenu et qu’il semble être en très mauvaise condition. Il est pâle, transpire énormément, semble souffrant, elle croit que je devrais le voir immédiatement. Je lui dis de le faire passer dans la salle d’examen.

En effet, notre jeune homme était en mauvaise forme, et pour cause. Il m’annonça, que devant mon refus, il avait décidé de se circoncire lui-même avec des ciseaux. Il baissa son pantalon et, à ma grande stupeur, je vis son pénis enveloppé dans une débarbouillette imbibée de sang. Le prépuce avait été sectionné ainsi que l’artère du frein, le tout saignait abondamment. Il était évidant que je ne pouvais rien faire pour lui à mon bureau. D’autant plus que le prépuce avait été coupé en oblique. Ce qui nécessitait une chirurgie plastique pour remettre le tout dans un dans un état convenable mais certainement inesthétique. Je me contentai de suturer les vaisseaux afin de contrôler l’hémorragie et lui dis de se rendre immédiatement à l’hôpital.

Le lendemain, j’ai rencontré l’urologue qui avait réparé les dégâts. Il m’a dit : « Ton patient qui voulait en avoir une comme les autres ne sera jamais satisfait, car il manquait tellement de tissus que je n’ai pu reconstituer le tout convenablement. Il devra se contenter d’en avoir une qui ne sera jamais imitée. »





Le suicide



Vieillard

Quand j’ai fait mes études en médecine, la psychiatrie n’était pas trop à l’honneur. On nous parlait de schizophrénie, de paranoïa et un peu des états dépressifs et jamais du suicide ou des personnes ayant des tendances suicidaires. Il est vrai que dans ma pratique médicale j’ai vu plus de suicidés que de gens qui voulaient se suicider.

Mes interventions dans le domaine psychiatrique se sont soldées par un lamentable désastre. J’ai encore en mémoire ce vieillard qui est venu me consulter parce, disait-il, « il ne voyait aucune raison de vivre. J’ai quitté mon patelin où tout le monde me regardait de travers parce que je n’avais rien à leur offrir de gratifiant. J’arrive en ville, je me loue une chambre pour y habiter et rencontrer des gens, mais je ne vois que des inconnus. Je me sens seul au monde et inutile, ma vie est un immense vide. »

J’essaie de lui faire comprendre qu’il vit un mauvais moment. Que bientôt il va se faire des amis et que certainement des jours meilleurs sont devant lui. Je lui prescris un anxiolytique et lui fixe un rendez-vous dans une semaine. J’avais la ferme intention de le ramener sur la voie du bonheur.

Trois jours après sa visite, on me téléphone à cinq heures du matin pour me demander d’aller constater son décès, il s’était pendu dans sa garde-robe.

Reclus

Une autre fois, on m’avait demandé de visiter un malade qui ne voulait parler à personne. Je me rends à son domicile. On me dit que le patient âgé d’une quarantaine d’années restait toujours dans sa chambre, n’y sortait que pour ses besoins d’hygiène, ne parlait à personne et qu’on devait même aller lui porter ses repas, sinon il ne s’alimentait pas. On lui dit que le docteur est venu lui rendre visite. Il entrebâille la porte et me fait savoir clairement qu’il ne veut rien savoir de moi et que, de toute façon, il n’a jamais demandé à me voir. Je réplique que son cas m’intéressait et que s’il le voulait je viendrais à toutes les semaines m’informer de sa santé. Il me dit : « Si çà peu vous être utile je n’ai pas d’objection. »

Après quelques visites j’avais réussi à me faire inviter à m’asseoir dans sa chambre et à parler de son isolement. À chaque fois que je quittais la maison j’avertissais sa mère de ne jamais le laisser seul. Je gagnais graduellement sa confiance, mais me rendais bien compte que la guérison était très loin d’être acquise. Son sentiment d’être inutile, une charge pour sa famille, une épave était profondément imprégnée dans son intellect. Or, un membre de la famille de sa mère décéda, et on décida d’aller aux funérailles qui avaient lieu à l’église située l’autre coté de la rue. Quand on revint à la maison, il était mort dans sa chambre.

Lorsque j’arrivai pour constater le décès, je le trouvai à genoux au pied de son lit, sur lequel il avait déposé une statue de la Sainte Vierge, son chapelet et un livre de prières, Il avait la bouche ouverte et une goutte de sang sur la langue. À ses pieds gisait un petit révolver d’un modèle très ancien. Il était évident qu’il s’était tiré une balle dans la bouche. Ce suicide m’a décontenancé pendant une longue période, en fait, je ne l’ai jamais oublié.





Désespéré

La logique du suicidaire est très variée, il arrive parfois qu’elle soit suscitée par les adversités de la vie, en voici un exemple : Une dame se faisait suivre par moi pour un problème d’hypertension artérielle. Un jour elle se présente à mon bureau, accompagnée de son mari qui souffrait d’un cancer de la gorge. « On voudrait avoir votre opinion sur le traitement qu’on suggère à mon mari, me dit-elle. Le spécialiste, qui le traite, affirme qu’il peut le soulager et prolonger sa vie, en enlevant la tumeur ce qui, cependant, l’obligerait à pratiquer une trachéotomie permanente. »

Je lui réponds que le mode de vie de ces gens est très particulier, demande une attention de tous les moments. Généralement, elles ne peuvent parler et même leur alimentation est pénible. Je leur propose d’aller visiter le département d’oncologie à l’Hôtel-Dieu, où on traite ces cas.

Ce qui leur permettrait de rencontrer des malades ayant subis une trachéotomie, de les questionner, s’ils peuvent parler ou du moins avoir une bonne idée du genre de vie qu’ils mènent. Ils m’ont quitté en disant qu’ils suivraient ma recommandation.

Quinze jours plus tard, ils sont revenus et le mari m’a ainsi raconté sa visite à l’hôpital. « Il y avaient trois patients au département, un seul était capable de parler en utilisant un curieux appareil qu’il appuyait sur sa gorge et d’où sortaient des sons à tonalité métallique qu’on comprenait difficilement. Après de laborieux efforts il a fini par nous faire comprendre qu’il était très malheureux, et regrettait son intervention. Le deuxième m’a remis un petit billet sur lequel il avait écrit; « Christ… ne te fais pas opérer! ». Le troisième qui avait une mine désespérée, me regarda longuement d’un air soucieux…ne fit aucun geste et s’en alla. Après une si pénible visite, j’ai décidé que lorsque la vie et la douleur seront insoutenables je saurai quoi faire. »

Deux mois plus tard, l’épouse éplorée me raconta le dénouement de cette tragédie. « Mon mari souffrait de plus en plus, s’alimentait presque pas et ses capacités physiques s’amenuisaient rapidement. Un soir, avant de le quitter pour aller jouer au bingo comme je le faisais à toutes les semaines il me fit presque des adieux .Il me remercia pour tout ce que j’avais fait pour lui, s’excusa pour les désagréments qu’il m’avait causés, et m’embrassa tendrement. Lorsque je revins, à la fin de la soirée, je le trouvai dans son lit, sans vie. »



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